J’aimerais aborder trois défis principaux auxquels font face les oblats bénédictins en Europe. Je crois que ces trois défis –qui sont à la fois des désirs et des espoirs– seront facilement reconnaissables aux oblats provenant des autres pays occidentaux.

Le défi de l’extrême vulnérabilité de la vie monastique d’aujourd’hui

Il n’est guère nécessaire d’expliquer: les communautés monastiques de nos jours sont vulnérables, et globalement, l’Église de l’Europe occidentale connaît des moments difficiles d’organisation, de ministère ainsi que dans le nombre de fidèles. Qu’est-ce que ceci représente pour les oblats? D’une part, ces problèmes ont créé une certaine place pour eux car ils peuvent donner un coup de main bien accueillie au niveau de la vie quotidienne de la communauté, dans la liturgie, dans la continuité de l’oeuvre monastique et de l’hospitalité. Les oblats contribuent à faire fonctionner le monastère dans plusieurs domaines tant à l’intérieur qu’autour (de cette manière, parfois ils déplacent le foyer de leur engagement de leur domicile vers le monastère). Ils réalisent une part de l’apostolat que le nombre diminuant de clercs et religieux ne peuvent plus maintenir. De cette manière, ils démontrent l’énorme potentiel de l’apostolat des laïcs lorsque qu’ils sont bien préparés et reçoivent un accompagnement suffisant.

D’autre part, en plus de vivre les joies et fruits de la vie monastique, ils partagent aussi ses peines et ses fardeaux. Ils doivent donner un sens à ce qui est sans doute une époque de faiblesse et difficultés dans l’histoire du monachisme. Cette citation provient d’un oblat belge concernant sa perception des défis du moment :

“En tant qu’oblat, je partage un riche et très intéressant héritage monastique-mais il s’agit d’un héritage complexe. Au début, je ne réalisais pas que je demeurerai le plus jeune oblat du monastère. L’accomplissement d’une génération vénérable de moines est certainement une joyeuse réalité, de la perspective de Dieu, mais au niveau humain, ça peu être lourd et douloureux. Il est parfois lourd de constater le manque de vitalité et de vie nouvelle; d’être continuellement face à la vieillesse, la maladie, la mort et un manque de nouvelles vocations; de réaliser les difficultés à remplir et entretenir les belles et grandes maisons monastiques. Je me demande : quel est mon rôle dans ce processus de vieillissement?

Il n’y a pas de réponse claire. Être présent dans les moments de difficulté et détresse est une façon de démontrer son amitié et son soutien. C’est aussi une façon de vivre l’Évangile. Cette présence ne change pas la réalité monastique de nos jours : la vulnérabilité et le besoin d’aide.

Le défi de la formation à long terme

Un deuxième défi important est le domaine de la formation. L’engagement à court-terme est, en général, assez fort. Mais qu’arrivera-t-il à plus long terme? Comment les oblats continuent leur formation personnelle? Quel genre de formation à long-terme peut être offerte par les communautés petites et vulnérables, ou par les communautés d’oblats eux-mêmes (devenant parfois auto-dépendants)? La conversio morum et stabilité à long-terme ne sont pas évidentes. Comment garder l’oblat frais et dispos, et inspiré? Comment renouveler l’oblation à l’occasion? Comment empêcher que l’oblation devienne routine ou fossilisée? J’aimerais illustrer ce point avec une citation personnelle :

Une des raisons pour devenir oblat était exactement cette perspective de croissance spirituelle de longue durée, cette « longue durée » dont on ne s’attend pas des paroisses mais qui correspond à un désir personnel. Faire face à ses exigences s’éprouve plus difficile que j’estimais. Je crois en les valeurs de lecture, prière et partage à long-terme, mais c’est un processus plus solitaire que j’estimais. Peut-il être soutenu par le monastère?

Le potentiel et les besoins de formation des oblats sont considérables, parfois plus importants que les communautés ou les communautés d’oblats sont capables d’assumer. Ils exigent de nouvelles formules pour le long-terme, des nouvelles sources, et une sorte d’accompagnement professionnel. Et bien sûr, les réponses changeront avec le temps, tout au long des différentes étapes de la vie d’un oblat.

Le défi de se construire une communauté et de développer le sentiment d’appartenance stable

Il n’est pas facile de cultiver des véritables et profondes amitiés dans un groupe d’oblats, avec les oblats individuels et avec les frères et soeurs. L’idéal de vivre dans une communauté chrétienne est puissante, mais la réalité peut être un défi et plus limitée. Comment établir un pont pour toutes sortes de distances? Comment les communautés stimulent le développement d’un partage riche d’un sentiment humain d’appartenance? Les oblats individuels et les moines sont parfois très occupés- l’oblation doit s’inscrire dans un agenda rempli d’autres obligations. Une citation personnelle qui illustre cette difficulté :

« J’ai bien sûr de bons amis parmi les frères, les soeurs et les oblats, mais je ne peux pas dire que j’en suis réellement satisfait. Est-ce que le plein potentiel est réalisé? Y-a-t ‘il assez d’ouverture et de réciprocité dans les amitiés monastiques? Est-ce que les moines sont vraiment intéressés en moi et ce que je fais? En tant qu’oblat, est-ce que j’appartiens réellement à la communauté OSB? Je n’en suis pas certain. Je ressens le besoin de moments de rencontre et de partage de qualité, mais les programmes de rencontres d’oblats et retraites ne favorisent pas ce genre de rencontre ni le développement d’amitiés durables. »

Aussi dans cette situation il y a un potentiel énorme, qui n’est que réalisé en partie. Comment donner aux oblats le sentiment –pas seulement une fois mais à répétition– qu’ils appartiennent à la communauté monastique et sont vraiment comme le dit l’abbé primat le T.R.P. Gregory Polan « les meilleurs amis de la communauté »?

Défi aux valeurs fondamentales Bénédictines

Les défis décrits ci-haut reflètent les expériences personnelles bien sûr, mais ils semblent aussi refléter des sentiments généralisés ainsi que des besoins structurels. Peut-être qu’ils sont inhérents à la nature et les limitations de tout engagement pour les laïcs. Ils sont aussi possiblement reliés au contexte de l’Église de l’Europe occidentale et l’actuel paysage monastique.

Mais ce qui est plus important : ils reflètent les valeurs monastiques fondamentales et la lutte fondamentale de toute personne vivant la tradition monastique : les défis de stabilité, appartenance, construction de communauté, durabilité, croissance à long-terme, conversatio morum, humanité, humilité, simplicité, essentialité… Vu dans cette lumière, il ne s’agit pas seulement de défis mais aussi d’espoirs, besoins, attentes, et tâches de nous tous qui vivons les valeurs fondamentales bénédictines. La vie d’un oblat, même si plus « légère » que celle d’un moine et plus intégrée avec le monde, ne peut s’échapper à ces défis monastiques fondamentaux. Comment faire que notre engagement porte fruit? Comment le rendre joyeux? Comment le rendre significatif du point de vue de l’Évangile? Comment le renouveler, et avec qui?

Notre potentiel de vivre le charisme bénédictin

J’espère que la plus grande communauté internationale d’oblats, ici présente, nous offrira un contexte qui confirme nos choix bénédictins personnels et nos engagements religieux. Que cette communauté puisse fournir là où nos communautés plus petites manquent de moyens, ou démontrent des limitations de grandeur, culture, vitalité et focus. J’espère aussi que cette plus grande communauté d’oblats puisse approfondir notre sentiment d’appartenance bénédictine, en comblant nos besoins de formation à long-terme, en nourrissant nos espoirs et en restaurant la PAIX dans les situations de découragement et de détresse. Bref, j’espère qu’elle nous aidera à mieux réaliser notre potentiel de vivre le charisme bénédictin dans notre propre monde et environnement.

Quelques extraits de la conférence: Charles van Leeuwen, Potential and Challenges of Benedictine Lay Memberships on the Long Term, Address International Benedictine Congress, Rome 2017

Traduction française: défis potentiels à long-terme des laïcs bénédictins.