Travail et prière, étude et amitié dans la vie des « amis des monastères »

La situation des monastères est paradoxale. De nos jours, la taille des communautés monastiques se réduit et leur situation devient parfois précaire. Parallèlement, ces communautés semblent être l’objet d’un intérêt grandissant de la part de la société, comme le suggère l’attention que leur portent les medias. En effet, de nombreuses personnes se sentent attirées par les monastères avec lesquels elles peuvent partager un lien très personnel. On peut alors parler d’une véritable « passion monastique », d’un « hobby monastique », d’une attirance pour le cadre monastique et sa spiritualité. Cette conférence abordera principalement ces personnes que l’on peut qualifier d’« amis des monastères ».

Ces dernières années toutes sortes de relations nouvelles se sont développées entre les monastères et leur entourage, pas seulement les oblatures mais aussi d’autres formes variées d’amitié et de confraternité : groupes d’étude et d’échange, expériences communautaires inspirées de la règle monastique, volontaires qui rendent service en part-time ou habitent au monastère ou à proximité de celui-ci. Le panorama est large et varié. Certains vont très loin dans leurs choix de vie et sont parfois appelés « moines light », appellation plutôt péjorative. Nous y reviendrons. Il importe que chaque monastère ait aujourd’hui des « amis » qui partagent plus ou moins étroitement la vie, le travail et la prière des moines en venant régulièrement au monastère et en éprouvant envers sa communauté un véritable sentiment d’appartenance.

Un art de vivre bénédictin

Pour les amis des monastères il est souvent question du partage de l’inspiration, du charisme proprement bénédictin. Percevoir la vie des monastères comme un « art de vivre » qui interpelle les gens du dehors est un phénomène assez récent. Lorsque le Père Frédéric Debuyst, moine de Clerlande, a publié son livre Bénédictins, un art de vivre (1985), le titre a suscité un bon nombre de réactions indignées. On ne pouvait quand même pas considérer la vie religieuse comme un simple « art de vivre » !

Aujourd’hui il semble que cette idée soit devenue monnaie courante et qu’elle constitue même un fil conducteur pour la diffusion de la pensée religieuse. Des auteurs monastiques populaires comme Enzo Bianchi, Anselm Grün, Benoît Standaert ou des laïcs comme Esther De Waal ou Wil Derkse et d’autres encore utilisent l’expression « art de vivre » sans réserve.
Ce concept résume assez bien ce que ces amis recherchent dans les monastères : non pas une « béatitude extra-terrestre », ni une super-bénédiction ecclésiale, ni une « fuga mundi » mais une profonde « sagesse de vie » fondée et éprouvée pour la vie quotidienne et le travail.

Nombreux sont les éléments qui se conjuguent dans l’art de vivre bénédictin. Un équilibre entre action et prière, la recherche d’une vie plus simple, l’exercice de l’attention et du respect pour les personnes les plus fragiles et aussi les objets usuels, l’exercice d’une autorité attentive au service des autres, l’apprentissage d’une manière adéquate de dire les choses, la vie au sein d’une communauté inter-générationnelle… C’est un art de vivre qui donne une certaine stabilité et une qualité de vie durable. Il est clair que cet « art de vivre » doit être appris et pratiqué. Cet apprentissage peut se faire en lisant des livres, en suivant des cours et en participant à des retraites accompagnées et, bien sûr, en nouant avec les membres de la communauté des liens d’amitié plus personnels et propices à un épanouissement spirituel.

Ce processus d’apprentissage en tant que tel n’est pas nouveau, mais aujourd’hui il est beaucoup plus accessible, grâce aux outils fournis et à leur facilité d’accès. Combien de livres n’y a-t-il pas sur l’art de vivre bénédictin, qui peuvent être achetés et lus par tous, y compris par ceux qui ne partagent pas ce «hobby monastique» ? N’existe-il pas de nombreux « manuels » qui rendent la Règle de saint Benoît accessible au grand public ? C’est devenu une sorte de spécialité. Combien de cours n’y a-t-il pas dans ce domaine, dans les monastères, mais aussi dans d’autres centres spirituels, et même donnés par des « coachs » indépendants ? Les cours de spiritualité sont devenus un véritable « marché ».

Une contre-culture de simplicité et de légèreté

La vie monastique a toujours représenté une sorte de « contre-culture » inspirée de l’Evangile. Les moines se sont « retirés » du monde, surtout pour s’éloigner de certaines valeurs dominantes dans la vie de ce monde. Ils ont opté pour une vie de silence, d’étude et de prière et trouvent ainsi un autre équilibre de vie et d’autres priorités. Ils recherchent un autre genre de richesses que celles que vise souvent la société. Ils vivent dans une simplicité plus grande et avec moins de biens personnels pour pouvoir partager plus avec les plus pauvres. Ils mettent au centre de leur vie des valeurs différentes de celles du monde : la charité, la miséricorde, l’hospitalité et la mise en question de soi-même. Les moines ont ainsi développé un sens humain assez différent de celui qui est dominant dans le monde. Cela ne rend pas, de soi, la vie monastique plus sûre, car elle connaît aussi ses dangers et ses épreuves. Leur vie est plus centrée, davantage vouée à l’essentiel, qui est de mettre Dieu au centre, de se consacrer à la mission évangélique et de donner forme, en ce monde, à l’amour de Dieu pour tous les hommes.

Les « amis des monastères » d’aujourd’hui partagent beaucoup de ces choix. Ils veulent aussi vivre une vie différente des « standards » du monde. Une vie plus clairement orientée vers les valeurs évangéliques d’intériorité et de simplicité. Ils suivent, à certains égards, les idéaux monastiques traditionnels d’équilibre entre prière et travail. Ils entretiennent autour de ce projet des relations amicales significatives. Mais ils tiennent à une certaine liberté par rapport aux formes « lourdes » de la tradition. En ce sens, le terme « light monks » ne leur convient pas si mal.

Extrait d’une conférence à l’occasion de la journée des oblats et amis des monastères, à Clerlande, le 18 octobre 2014