Je suis parfois frappé de voir combien est grande dans les monastères la différence entre les hôtes, qui jouissent du silence, de la liberté et du vacare Deo et les frères eux-mêmes. Ils ont voué leur vie a ce même silence, à cette même liberté, mais en même temps ils paraissent incroyablement occupés. Si l’évangile est sensé te rendre libre, en même temps ta vie déborde de travail, de prière, de toute sorte d’obligations, de petites choses qui sont belles mais risquent de t’enlever l’ouverture sur la liberté évangélique dont il est précisément question. Cette « insouciance » de l’existence monastique qui prend exemple sur les oiseaux et les fleurs des champs ne seraient donc que pour les hôtes, les novices, les très jeunes et les très vieux?

Tout cela ressemble un peu à notre vie de laïcs où nous créons tant de grandes choses pour être matériellement à l’abri et au même temps sommes si occupés que nous ne pouvons presque plus trouver le temps d’en jouïr.

Il m’a toujours paru important, personnellement, d’essayer de me dégager de la pression et de la routine du monde. C’est une des raisons pour lesquels je me suissenti attiré par les monastères. La vie monastique offre la possibilité de sortird’un certain carcan pour éprouver à nouveau la liberté spirituelle, la liberté du deo vacare. Les courtes ‘vacances’ passées dans les monastères ont donc toujours été pour moi, je dirais presque quelque chose de festif, ou l’accent était mis plutôt sur le bien-être que sur l’ascèse. J’ai éprouvé cela par exemple à table, où je pouvais participer à un repas qui était bon même s’il était sobre, ou encore dans une forme d’habitat qui avait des beaux espaces et une place pour des beaux objets, ou simplement dans la liturgie avec son jeu de beauté et de justesse spatiale, musicale et rituelle. Et bien entendu la présence de la nature qui ajoute au silence.

Je pense que cette approche de la vie monastique, qui accentue davantage la bonté de la création et les richesses de la vie en communauté, a reçu, ces derniers années, une plus grande place par rapport à des périodes antérieures qui accentuaient surtout les éléments ascétiques de la vie des moines. Finalement ce sont là deux accents différents mais complémentaires, qui ensemble peuvent nous ramener à l’étonnante gratuité de la vie évangélique.

Un petit texte apparu dans: Frédéric Debuyst, Saint Benoît. Un chemin de discretion avec des textes de Charles van Leeuwen e.a. (Cahiers de Clerlande, Ottignies, 1996)