Au fil du temps j’ai du modifier mon image des moines: je croyais au début qu’il s’agissait toujours d’hommes forts et vigoureux qui avaient décidé de renoncer au monde et de se retirer dans une fière solitude. Sous l’influence de certaines images traditionnelles, je pensais rencontrer dans les monastères avant tout des ermites ‘revêtus de tuniques en poils de chameau’ et marqués par les épreuves du désert. C’est plus tard seulement que j’ai vu que la vocation du moine est dirigée moins sur la solitude que sur la vie en communauté, du moins dans la tradition bénédictine.

La règle de Saint Benoît déborde d’indications pour une vie communautaire harmonieuse et paisible. Les chapitres sur l’abbé donnent un exemple de la manière dont peut se comporter un responsable; le chapitre sur le portier comment il est possible d’accueillir ; le chapitre sur l’économe comment on peut gérer les biens; le chapitre sur les malades comment se conduire vis-à-vis les plus faibles. Ce sont là des règles qui semblent bien pouvoir être appliquées dans d´autres formes de vie en commun que celles strictement monastiques.

Je constate que notre culture occidentale suit des valeurs fort différentes et qu’il est difficile de ne pas s´y conformer de manière automatique. N’est-il pas vrai qu’il s’agit bien souvent du droit du plus fort, de la survie du mieux adapté? N’est-on pas acculé à se montrer le plus fort possible et de faire valoir ses qualités propres, ou encore de dissimuler ses côtés faibles? Même chez les autres, nous préférons voir les points forts et nous avons du mal à accepter leurs faiblesses. Bien souvent, la faiblesse est punie, implicitement ou explicitement, au lieu d’être vraiment rencontrée.

Notre approche des hommes est souvent peu discrète, impérieuse, pénétrée de violence. Au lieu de laisser aux hommes leurs propres valeurs, nous pensons pouvoir les aider en leur indiquant des lignes de conduites. Nous ‘traitons’ les gens à notre propre manière et pensons avoir notre mot à dire sur nos partenaires, nos enfants, nos employés comme si nous les ‘possédions’. Et notre conduite n’est pas différente par rapport aux objets.

Je pense qu’il est très important de donner plus de place à ces signes de respects et de soin qui viennent de l’évangile et qui apparassient si joliment dans la tradition bénédictine. Trouver un oeil pour la faiblesse des forts et pour la force des faibles: c’est difficile mais il est possible de l’apprendre.

Un petit texte apparu dans: Frédéric Debuyst, Saint Benoît. Un chemin de discretion avec des textes de Charles van Leeuwen e.a. (Cahiers de Clerlande, Ottignies, 1996)